Highlands Magazine
, 2000 12: AM
Près de 2 ans d'attente depuis la prestation du PROGLIVE de Corbigny, cru 1998 pour les fans français du groupe hongrois, mais certainement une attente qui n'aura pas été vaine. AFTER CRYING sut en effet, et ce sans effort apparent donner le meilleur de lui-même, servi il est vrai par une équipe technique de CRESCENDO au top. Le mot d'ordre fut constamment efficacité et réactivité, et, certainement la formation hongroise put pleinement se concentrer sur sa musique et offrir le meilleur de son répertoire à un public pas obligatoirement totalement conquis d'avance, tant demeure complexe et ambitieuse la musique de l'octuor. Car ils étaient bel et bien tous là! Drivés par leur avisé manager GREGORY, personnage affable, communicatif et toujours soucieux du moindre détail, BALAZS WINKLER, le pianiste-trompettiste; PETER PEJTSIK, le bassiste-violoncelliste; FERENC TORMAS, le guitariste-claviériste; ZOLTAN LENGYEL, le nouveau claviériste désormais totalement intégré à la formation; ZSOLT MADAI, le batteur; GABOR LEGRADI, le chanteur soliste nouvellement recruté (aperçu en juillet 1999 à Vigevano); GABOR EGERVARI, le flûtiste-ingénieur du son; enfin TAMAS GORGENYI, le parolier/concepteur et chanteur en studio... Ils avaient tous fait le voyage et n'allaient pas tarder à démontrer qu'ils n'étaient pas venus en simples touristes...
Dès l'introduction orchestrale de "Viaduct – Signal", le ton est donné: grandiose! dissonante, fracassante mais possédant aussi des consonances tragiques véhiculées par les synthétiseurs de BALAZS WINKLER, faisant écho à ceux du raffiné ZOLTAN LENGYEL, la composition évolue vers une certaine solennité conférée par la trompette de WINKLER, transition amorçant le décollage fulgurant de la rythmique du tandem PETER PEJTSIK, à la fois rayonnant et déchaîné sur sa basse grondante– ZSOLT MADAI, semblant démultiplié. Le groupe poursuit par le désormais classique "Judas", composition de VEDRES de facture plus abordable au niveau mélodique, et de son écriture musicale. Ce qui donne l'occasion au public français de découvrir le nouveau chanteur GABOR LEGRADI, récemment intégré. Celui-ci, tout de blanc vêtu dégage une certaine impression d'irréalité, soulignant la ligne mélodique d'une belle voix grave. Avec le plus éthéré "Sleepin Chaplin", extrait du récent 6, AFTER CRYING propose ensuite une autre facette de son talent: la guitare aux sonorités aiguës de FERENC TORMA, le violoncelle grave de PEJTSIK, la trompette divine de WINKLER, l'épisodique flûte de GABOR EGERVARI (depuis la table de mixage!), avant d'interpréter l'une de ses pièces maîtresses: "Struggle for Life", l'une des compositions centrales de 6. Accents tragiques conférés par les synthétiseurs, roulements/breaks de batterie inquiétants, basse fulgurante, dévorante, incandescente de PETER PEJTSIK, plus que jamais personnage central, fondamental de la formation, guitare fantomatique aux sonorités d'une fluidité transparente, quelques échos de trompette à la pureté biblique, tandis que PEJTSIK désormais au violoncelle agite son archet pour tirer quelques sonorités tour à tour rondes et moelleuses, puis grinçantes de son instrument. Pendant ce temps, ZOLTAN LENGYEL et BALAZS WINKLER rivalisent de talent, de virtuosité et d'inspiration au piano, alors que le morceau ne s'embrase à nouveau! Un grand moment de musique. Sans citer absolument tous les titres, on s'attardera sur l'émotion suscitée par "The Pilgrim's March", l'un des moments de bravoure de FERENC TORMA à la guitare électrique, où l'instrumentiste brode dans son style toujours parfaitement coulé et fluide, l'un de ses plus beaux soli, accompagné par une batterie au martèlement sourd et inquiet, tandis que surgissent furtivement, de loin en loin notes exquises de piano, avant la montée en puissance de synthétiseurs aux consonances d'une beauté purement extatique...
Il faut voir, ensuite avec quelle ferveur et maîtrise PEJTSIK et WINKLER nous interprètent leur "Sonata for violoncello and piano". Une leçon de classicisme pur, une leçon de grande musique, tout simplement. Ces instrumentistes, il faut le redire et le clamer partout dépassent d'une tête tous leurs contemporains: ils sont les seuls à proposer une musique à la fois aussi ambitieuse, aussi diversifiée, sans jamais sacrifier à une très grande homogénéité et cohérence d'ensemble. La complicité des instrumentistes est mesurable à chaque instant, lors de chaque enchaînement, comme dans "Burlesque", étourdissante pièce de piano à quatre mains (chapeau bas, messieurs WINKLER et LENGYEL).
On retiendra, également "Hommage à Frank Zappa" extrait du désormais lointain OVERGROUND MUSIC au rythme totalement déjanté, la merveilleuse "Goblin Dance", mettant une nouvelle fois conjointement en valeur les talents de PEJTSIK (au violoncelle) & WINKLER (au piano), l'interprétation contrastée, haute en couleur et tourmentée d'un "Viaduct" épique et on s'attardera, naturellement sur l'impressionnant medley final justement intitulé "Conclusion" que tous les heureux possesseurs du double-album STRUGGLE FOR LIFE connaissent désormais (tous les lecteurs de Highlands sont-ils bien dans ce cas?, je vérifierai…). Nul besoin d'insister, "Conclusion" s'avère une somme difficilement surpassable: la voix grave et poignante de GABOR LEGRADI en ouverture, les synthétiseurs flamboyants en toile de fond, la trompette fluide et éthérée, le piano cristallin et limpide, la basse effervescente... Et comment résister au tempo irrésistible de "Arrival of Manticore", digne hommage à la musique d'E.L.P ? comment ne pas entrer en transe à l'écoute de ces sonorités d'orgue Hammond, comment ne pas battre la mesure et être emporté par le sentiment d'allégresse que suscite le tandem démoniaque PEJTSIK/MADAI? comment ne pas être subjugué par les étourdissants soli de synthé du redoutable tandem LENGYEL/WINKLER? Comment résister à cette pluie divine de piano cristallin? Comment ne pas être ensorcelé par ce violoncelle intrépide qui nous entraîne vers l'infini...
Pour ceux qui en doutaient encore, AFTER CRYING sur scène c'est le spectacle total, le don total de soi, le dépassement ultime des limites… Un tel challenge, assurément n'est pas à la portée de toutes les formations.
Lorsque après 2h30 de spectacle total, donné en deux parties distinctes, séparées par un bref entracte, AFTER CRYING nous laissa, nous étions tous la tête dans les étoiles, l'esprit connecté sur l'infini, le cœur léger et l'âme emplie des trésors d'une musique divine.
Didier Gonzalez
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